Annouck Curzillat : "Sans le soutien de mon mécène, mon projet aurait pris fin après Tokyo !”

Crédit photo : World Triathlon

Multiple championne de France de paratriathlon et atteinte de déficience visuelle, celle qui s'est adonnée à différents sports en loisir avant de se lancer dans la compétition, rêve à nouveau de briller. Si en 2021, elle remporte sa première médaille paralympique lors des Jeux de Tokyo en terminant troisième, nul doute qu'elle montera à nouveau sur le podium. Cependant, pour cela, elle doit se hisser parmi les "sélectionnables". Après être arrivé 3ème au championnat du Monde en septembre pour la première fois de sa carrière à une place d’obtenir son pass pour les jeux Paralympiques, elle devra encore faire ses preuves en début de saison prochaine.

Présentez-vous.

Je m'appelle Annouck, j'ai 31 ans, et je porte deux casquettes : celle de masseur-kinésithérapeute et celle d'athlète de haut niveau en paratriathlon.

Pouvez-vous nous présenter votre discipline et les spécificités liées à votre catégorie de handicap ?

Le paratriathlon est la version handisport du triathlon, avec des distances réduites à environ la moitié de celle de l'épreuve olympique. Ces distances de type sprint comprennent 750 mètres de natation, 20 kilomètres de vélo et 5 kilomètres de course à pied. Les compétitions s'ajustent en fonction des environnements et des conditions spécifiques de chaque lieu. Par exemple, la distance exacte à parcourir en vélo peut varier légèrement, parfois un peu plus ou un peu moins que les 20 kilomètres annoncés. 

En ce qui concerne ma catégorie, il existe 6 catégories de handicap dans le paratriathlon. La mienne est celle des déficients visuels, avec deux sous-catégories mais nous concourons toutes pour le même podium. Nous sommes classées selon notre acuité et champ visuel. Les non-voyantes comme moi sont classées B1 tandis que celles ayant une capacité visuelle résiduelle sont classées B2-B3. Ces dernières, partent avec un léger retard par rapport aux B1 et se lancent environ 3 minutes et 11 secondes plus tard, bénéficiant d'un avantage dû à leur meilleure vision.

Dans quelle discipline vous sentez-vous le plus à l'aise ?

D'habitude, je brille dans la course à pied, où je suis à l'aise. Mais cette année, lors de la dernière phase du triathlon, je peine et la fatigue se fait sentir. C'est là que mon mental est mis à l'épreuve. D'ordinaire, je suis moins à l'aise en natation, une discipline que je maîtrise moins car je l'ai apprise tardivement pour le triathlon. Cependant, actuellement, c'est là où je me sens le mieux.

Comment et pourquoi vous-êtes-vous dirigé vers le paratriathlon ?

C'est un peu drôle, le début de ma carrière sportive. Depuis mon enfance, j'ai toujours eu une passion pour divers sports. Inspirée par mes frères, mes parents m'ont encouragée en m'inscrivant à de nombreuses activités, parfois suscitant l'étonnement, mais ils disaient que si je n'étais pas capable, j'arrêterais. J'ai exploré diverses activités sans atteindre nécessairement un niveau élevé.

Un jour, un pompier professionnel a découvert le biathlon handisport dans une station en Savoie et a souhaité devenir guide pour faire découvrir sa discipline, qui était le triathlon. Il s'est mis en contact avec la fédération handisport et, par l'intermédiaire d'un ami travaillant dans ce domaine, nous avons été mis en relation. Bien que je n'aie jamais pratiqué spécifiquement l'une des trois disciplines du triathlon, je me suis lancée dans cette aventure par hasard, le destin me guidant.  Le pompier a tout fait pour me lancer, mais ensuite, il n'a pas pu faire plus car je n'avais pas le droit d'avoir un guide masculin en compétition.

Après avoir eu une médaille de bronze lors des derniers jeux paralympiques, quelles sont vos ambitions à l’approche de Paris 2024 ?

Je veux faire mieux, mon objectif serait de décrocher la médaille d'or. Bien sûr, décrocher le bronze serait déjà fantastique, mais je vise toujours plus haut. Le paratriathlon est une discipline jeune, qui n'existe que depuis 2012 et a fait sa première apparition aux Jeux de Rio en 2016. Elle est en constante évolution et gagne en popularité à l'échelle internationale. De plus en plus de personnes se lancent dans cette discipline, ce qui contribue à hausser le niveau global. Mon rêve ultime est l'or ou l'argent, mais face à la forte concurrence, ramener le bronze serait déjà une grande réussite !

Quel est votre palmarès ?

En 2021, j'ai remporté le titre de championne d'Europe, la même année où j'ai décroché la médaille de bronze aux Jeux de Tokyo. J'ai également obtenu une troisième place en 2022 et une deuxième place en 2023 lors des championnats d'Europe. En ce qui concerne les championnats du monde de 2022, j'ai terminé à la quatrième place et très récemment j’ai terminé à la 3e place au championnat du Monde pour la 1ère fois de ma carrière.

Vous dites avoir un double projet donc un projet sportif et un projet professionnel puisque vous êtes kinésithérapeute, pouvez-vous m'en dire plus sur la façon dont vous vous organisez pour mener à bien ce double projet ?

J'ai été diplômée en masso-kinésithérapie en 2013, et j'ai débuté le triathlon en 2014. Par la suite, désireuse d'approfondir mes connaissances, je me suis inscrite à une licence en lien avec ma profession. Ayant trois projets simultanément, j'ai dû jongler entre eux pendant trois ans. Au fil du temps, ma progression en triathlon m'a convaincue de réduire peu à peu mon engagement professionnel. En 2019, mes performances m'ont valu de passer de la liste Sportif de haut niveau d’Espoir à la liste Élite, entraînant des ajustements dans mon contrat de travail grâce à une convention d'insertion professionnelle. À partir de cette année-là, je suis passée à moins de 50% de temps de travail tout en percevant mon salaire complet. Pour me préparer au mieux pour les Jeux de Tokyo, j'ai arrêté de travailler les quatre derniers mois précédant l'événement. Depuis 2022, je ne travaille qu'un jour et demi par semaine, et à partir de janvier prochain, je me consacrerai entièrement à la préparation finale pour les Jeux de Paris 2024.

Comment faites-vous pour communiquer avec votre guide pendant la course ?

Pour la natation en eau libre, on est attaché par un lien à la cuisse, c'est une corde qui relie les 2 personnes. C'est la chose qu'on a entre nous pour qu'elle puisse m'orienter dans l'eau et c'est à moi de trouver la tension du lien pour que je ne sois ni trop près ni trop loin. Nous utilisons aussi des gestes tactiles pour communiquer lors du parcours autour des bouées, que je connais à l'avance grâce aux explications préalables de ma guide. A chaque bouée, elle me tape sur la tête pour me prévenir qu'on approche de la bouée et elle me tape sur la tête une deuxième fois au moment où on va devoir tourner.

Sur le vélo, on peut parler mais quand elle met son casque de chrono, elle ne m'entend plus ou elle m'entend très mal. Du coup, l'idée, c'est de lui donner, par exemple, une petite tape dans le dos pour la prévenir que je vais lui parler et qu'elle puisse se concentrer.

En course à pied, nous échangeons des informations sur le terrain, comme les aspérités. Ma guide m'oriente pour les virages et m'aide à maintenir une posture adéquate pour éviter les points de côté tout en maintenant une trajectoire grâce au lien entre nous.

Comment la Fondation vous aide avec son dispositif Pacte de Performance au quotidien ?

Le dispositif Pacte de Performance est une aide essentielle. Depuis que j'ai réduit mon temps de travail pour me concentrer sur le sport, mes revenus mensuels sont moins importants depuis près de 5 ans. Mon mécène Caisse d'Epargne Rhônes Alpes m’aide à compléter mon salaire réduit, soulageant les contraintes financières à la fin du mois. Ça me permet aussi d'indemniser ma guide parce qu'elle aussi a maintenant un contrat d'insertion professionnelle mais, ce qu'elle reçoit comme argent n'est pas suffisant pour vivre quotidiennement. Enfin, cela soutient également mon entraîneur et sa compagne. Ils m'aident dans la logistique du tandem, l'entretien, la révision, et m'accompagnent dans les entraînements à l'extérieur, malgré le temps supplémentaire que cela implique, car eux aussi travaillent chacun de leur côté.  

Sans le soutien de la Caisse d'Epargne Rhônes Alpes, mon projet aurait pris fin après Tokyo. Avant, je n'avais pas de guide fixe pour m'entraîner, et mon entraîneur était à distance. Sans leur contribution, je n'aurais pas eu le courage de continuer, car je savais que la concurrence augmentait, et maintenir mes conditions d'entraînement précédentes auraient été insuffisantes et insupportables. 

Ce que j'apprécie également avec mes partenaires du Pacte de Performance, c'est leur contribution à promouvoir la discipline et le handisport auprès de leurs employés, permettant ainsi à chacun de s'impliquer dans les Jeux de Paris.

Vous avez participé au Test Event du paratriathlon Paris 2024, pouvez-vous nous en parler ? Comment avez-vous trouvé le parcours ?

Le parcours est vraiment remarquable. Les Champs-Élysées, c'est incroyable en matière de sport. Habituellement réservé aux coureurs du Tour de France, c'est l'une des avenues les plus emblématiques au monde. Pouvoir l'emprunter en handisport est une chance extraordinaire. Pour une fois, nous avons la même opportunité que les valides, sans distinction. C'est génial de passer devant d'illustres institutions françaises. Cependant, le parcours est très technique, avec des pavés, nécessitant une préparation spécifique pour performer au mieux. Malheureusement, lors du Test Event, la nage n'a pas été possible en raison de problèmes de qualité de l'eau. Cela a suscité de la frustration car l'année prochaine sera une première expérience, mais on va se préparer pour être performant sur ce type de de natation qui va demander une adaptation en termes de nage notamment en raison du courant.

Vous m'avez parlé de votre chien en OFF. Pouvez-vous nous expliquer comment il vous accompagne ?

Oui, j'ai mon deuxième chien guide depuis 2 ans, et il m'aide énormément dans mes déplacements. Utiliser une canne blanche est fatigant, donc le chien-guide soulage cette fatigue. Il prend en charge une partie de la vigilance et de la concentration nécessaires pour se déplacer. C'est une aide magique qui simplifie beaucoup de choses. Je prends du temps chaque jour pour m'occuper de Papaye, la faire jouer pour éviter qu'elle s'ennuie. Nous avons une belle complicité, mais cela nécessite une certaine organisation. Ma chienne a été formé pour travailler toute sa vie, elle est conditionnée pour cela, donc ne pas être sollicitée peut l'ennuyer. L'emmener en stage nous permet de maintenir ce lien de travail tout en profitant d'un cadre où nous pouvons jouer ensemble.

Crédit photo : Puurfilm/FFTRI

Crédit photo : World Triathlon

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